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AccueilRéunionnais du MondeElia Barret : retour au péi mode d’emploi

Elia Barret : retour au péi mode d’emploi

Passer de responsable grands comptes à Paris à coach d’anglais et apprentie agricultrice sur son île natale… A 37 ans, la Bénédictine Elia Barret partage son parcours et les stratégies qui lui ont permis de rentrer à la Réunion après 15 ans de mobilité. « Je me suis épanouie et j’ai pris conscience de mon identité en partant puis en revenant. »
« Retrouvez plus d’infos & portraits sur www.reunionnaisdumonde.com»

Pouvez-vous vous présenter ?
Elia Barret, 37 ans. Née à Saint-Pierre, j’ai grandi à Saint-Benoit. Je suis fille et petite-fille d’agriculteur du côté de mon père. Mon grand-père a quitté Saint-Joseph avec sa famille pour exploiter la terre à Saint-Benoît. Ma mère, retraitée de l’enseignement, est née à la Plaine des Cafres. Son père, qui a travaillé à la Sicalait, a fabriqué les tout premiers yaourts péi. A l’école, je n’excellais pas mais j’avais de bonnes notes en général. Après un parcours littéraire au lycée Amiral Bouvet, j’ai fait une année d’Hypokhâgne au Lycée Leconte de Lisle puis j’ai intégré l’université de Saint-Denis en deuxième année d’anglais grâce à une équivalence. Mais à 20 ans, il a été temps pour moi d’aller voir au-delà des frontières réunionnaises…

Pourquoi et dans quelles conditions ?
J’ai toujours eu ce modèle en tête. Mes parents avant moi, sont allés en Hexagone faire leurs études, plusieurs de mes cousins et cousines également. C’était un schéma bien ancré et j’étais très curieuse d’en faire l’expérience à mon tour. J’ai donc terminé ma licence d’anglais en Erasmus, à Londres. Best year ever ! A la suite de quoi, j’ai effectué une année de césure à Londres, une troisième année de L.E.A. à l’université de Rennes, un Master 1 à Paris IV, en Commerce International, en alternance et enfin un MBA Commerce Extérieur à P.P.A. Business School à Paris, en alternance.

Et ensuite ?
Une fois diplômée j’ai fait un peu d’intérim dans l’événementiel. Puis j’ai intégré une entreprise spécialisée dans les communications tactiques militaires (toujours à Paris), au sein de laquelle je suis restée près de huit ans. J’étais en charge des relations commerciales entre le partenaire principal qui était américain et les utilisateurs du marché français.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à la Réunion ?
Sans trop me l’avouer, j’ai toujours envisagé de rentrer à la Réunion un jour mais c’est certainement la situation sanitaire liée au COVID qui nous a aidés à sauter le pas. Mon mari, mes enfants, alors âgées de moins de 2 ans à l’époque et moi-même, avons vécu les confinements en appartement en région parisienne. On savait déjà qu’on ne voulait pas faire notre vie à Paris, le besoin de changement s’est imposé. La question du “où” s’est posée (environ 1 minute !), mon mari étant breton. L’appel des racines, le manque familial et un climat plus généreux l’ont emporté. Après 15 années passées en dehors de mon île, le retour au péi se dessinait.

Comment l’avez-vous préparé ?
Le retour au péi s’est envisagé autour d’un projet agrotouristique et familial. On s’est projetés grâce à cet objectif tout en prenant notre temps. Un peu plus d’un an ont été nécessaires pour se préparer, permettre à notre fille de terminer son année scolaire, quitter nos jobs, organiser le déménagement, mettre notre appartement en vente. On a dit adieu à une situation très confortable, à de bons salaires, mais surtout à une partie de notre famille et celle qu’on a choisie durant toutes ces années : nos amis. On a mis en place un rétroplanning des actions liées au déménagement et aux tâches administratives, telles que l’inscription des enfants dans leur nouvelle école, trouver un logement, une voiture sur place. On en a aussi profité pour voyager un peu avant notre départ.

Décrivez nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.
Comme à chaque atterrissage, les larmes ont coulé. Toutefois, cette fois-ci j’ai ressenti un doux mélange de soulagement, d’appréhension, d’émerveillement et de fatigue due au voyage, aux (nombreuses) valises, aux émotions diverses. On y était enfin. On l’avait fait.

Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?
Nous avons eu beaucoup de chance d’être accompagnés dans notre projet de retour. Mes parents nous ont accueillis à bras ouverts et nous ont logés dans un premier temps. Nos amis nous ont aidés à trouver un appartement quelques mois plus tôt. J’ai également adhéré à l’association Réunionnais de Retour au Péi, qui m’a permis de créer du lien avec des réunionnais.e.s qui étaient rentrés ou en avaient le projet. En revanche, j’ai été surprise par l’exigence du marché locatif. On a pu obtenir un appartement grâce à mon mari qui était toujours sous contrat à Paris et travaillait à distance. Malgré nos bons revenus, l’agence exigeait un contrat de travail établi à la Réunion. Heureusement qu’il existait une antenne locale.

Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?
Le marché du travail est difficile à la Réunion. Nous le savions mais nous en avons bien pris conscience une fois sur place. Il y a des offres, mais les salaires restent bas alors que la vie est chère. Même après une expérience en région parisienne, où le coût de la vie est élevé, on a encore du mal à se faire à ce gap. Je n’ai à aucun moment ressenti d’avantage concurrentiel du fait d’être réunionnaise, j’ai préféré créer mon auto-entreprise en tant que coach d’anglais, qui est ma passion. J’ai aussi découvert que notre île regorgeait de profils talentueux, avec lesquels je partage mes ambitions et envies pour le territoire. On ressent un véritable bouillonnement créatif et entrepreneurial, notamment via les réseaux sociaux, à la différence près qu’à La Réunion, le territoire étant petit, il est beaucoup plus facile de passer de la connexion digitale aux rencontres physiques. C’est un avantage considérable.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Je suis revenue à mes premières amours. Je suis coach d’anglais, à mon compte. J’accompagne les particuliers et les professionnels qui veulent gagner en confiance et en compétence dans cette langue. Le projet agro-touristique est par ailleurs toujours d’actualité, mais la réalité financière impose des choix : ce dernier ce fera sur le long terme. Je me forme actuellement dans le but de reprendre l’exploitation familiale à la Plaine des Palmistes et y développer un concept de slow tourisme, avec des hébergements éco-responsables. Mes projets sont aujourd’hui de développer mon entreprise, continuer de veiller à l’épanouissement de ma famille, œuvrer à mon échelle pour contribuer au développement de mon île. J’ai à coeur de promouvoir notre culture, nos talents et notre biodiversité localement et à l’international.

Qu’avez-vous trouvé de changé à votre retour à la Réunion ?
Le paysage urbain évolue à vitesse grand V. Les embouteillages sont une véritable épine pour l’environnement et l’économie. Toutefois ce qui a changé ce sont probablement les gens et dans le meilleur des sens. La Réunion ne nous a pas attendu pour évoluer. Les mœurs évoluent, la culture et son accès également, pour notre plus grand plaisir. Le créole reprend sa place. Les choses changent (ti lamp ti lamp) et je suis honorée de faire partie de ces mutations.
Qu’est ce qui vous surprend le plus par rapport à l’endroit où vous viviez en mobilité ?
Deux ans après mon retour, je suis toujours émerveillée par les couleurs qui m’entourent. Ayant principalement vécu en région parisienne et à Londres, les nuances de gris étaient…infinies. Depuis mon retour mon regard se nourrit d’une multitude de couleurs de la faune et de la flore qui m’entourent. Même la façon de s’habiller toute l’année est bien plus réjouissante !

Quels sont les points de satisfaction / déception de votre retour ?
Mes satisfactions sont : les liens qui se (re)créent avec la famille, avec la nature, mes enfants qui jouent en créole, les saveurs de la cuisine feu d’bois, la pharmacie naturelle qu’offre le jardin, l’accès à la culture, le dynamisme des Réunionnais pou met’ La Réunion en ler’, et tant d’autres choses.
Mes déceptions : la pollution ! J’hallucine encore tous les jours que les sacs plastiques restent un réflexe. Plus de 80 000 barquettes en plastique sont achetées et donc à enfouir quotidiennement. Les sentiers et les routes sont encore jonchés de déchets. J’ai du mal à comprendre pourquoi les politiques ne s’emparent pas du sujet. Il y a énormément de pédagogie à faire. Je vois encore régulièrement des gens jeter des choses en conduisant. On est capable de beaucoup, pourquoi ce volet prend-il autant de temps ?

Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?
Ma mobilité a été une expérience en or pour moi, personnellement, professionnellement. Je l’ai décidée et j’ai été soutenue par ma famille. Je me suis épanouie ailleurs. J’ai pris conscience de mon identité en partant puis en revenant. J’ai réalisé la chance que j’avais eue de pouvoir voyager dans des conditions saines, de faire des rencontres qui ont changé ma vie, à commencer par mon mari. J’ai appris de nouvelles langues, de nouvelles coutumes. Il y a eu des moments difficiles, liés à la distance, les maladies, les pertes, la solitude, les échecs, la sur-adaptation, le racisme latent, mais ils n’ont jamais pris le dessus. J’ai pu prendre du recul, me nourrir d’ailleurs et prendre conscience de la chance d’avoir ses racines à la Réunion. Car je n’oublie pas l’éducation et l’amour que j’ai reçus dans ma famille, qui m’ont donné confiance en moi et des valeurs humaines profondes, mais aussi un système éducatif gratuit et de qualité…

Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?
Le retour se prépare : financièrement, familialement, psychologiquement. Il faut être patient, ne pas trop idéaliser le retour et prendre conscience du temps qui a passé pour nous mais également pour ceux qui nous ont vu partir. Il est primordial de créer du lien, de maintenir des ponts avec La Réunion, quel que soit le lieu où l’on se trouve. Aujourd’hui c’est tout à fait possible grâce à des médias comme Réunionnais du monde, aux réseaux sociaux et à l’association Réunionnais de Retour au Péi. Mais avant tout il est nécessaire de se demander pourquoi et pour qui l’on rentre. Est-ce pour la famille, pour soi, pour son conjoint ? Autant de questions primordiales quant à nos intentions profondes, afin d’éviter les désillusions.

Interview Nicolas Martin
+ d’infos sur Elia Barret, coach d’anglais sur le site www.reunionnaisdumonde.com

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