Après des études à Lille dans un secteur peu représenté sur l’île – le marketing de la santé, elle s’est lancée comme défi de rentrer avant ses 30 ans. Objectif atteint, Murielle cumule aujourd’hui un poste de salariée en tant que responsable communication, et des projets en auto entrepreneur en collaboration avec sa sœur. Elle raconte les étapes et les difficultés de son retour à la Réunion : « Le vrai défi, c’est de retrouver sa place dans une Réunion qui a changé » « Retrouvez plus d’infos & portraits sur www.reunionnaisdumonde.com »
Pouvez-vous vous présenter ?
Murielle Sery, 30 ans. Originaire de Saint-Leu, je suis l’aînée d’une fratrie de trois. J’ai grandi dans une famille où l’entraide et le dépassement de soi étaient des valeurs centrales. À 17 ans, après mon bac, j’ai quitté l’île pour poursuivre mes études en Métropole, un choix suivi plus tard par ma sœur et mon frère à 17 ans et 15 ans. Ces départs ont demandé des sacrifices, notamment à nos parents, mais pour nous c’était une chance incroyable.
Racontez-nous votre expérience de mobilité.
J’ai commencé des études de médecine à Lille en 2012, avec le rêve de devenir sage-femme, le plus beau métier du monde à mes yeux. Après un échec en PACES, je me suis réorientée vers un double cursus en sciences et commerce, option marketing santé. La santé reste un domaine qui me passionne, car il porte cette idée d’aider les autres, une valeur que ma famille m’a toujours inculquée. La médecine ne m’a pas ouvert ses portes, mais cet échec m’a révélé une force : transformer les obstacles en tremplins. Je me suis réinventée dans le marketing santé, un domaine qui allie ma passion pour la santé et une vision stratégique.
Qu’avez-vous fait ?
J’ai aussi eu l’opportunité de voyager : apprendre l’anglais en Australie, faire des missions humanitaires au Vietnam dans des orphelinats… Ces expériences m’ont ouverte au monde. Une fois diplômée d’un master sciences et commerce option marketing de santé, j’ai posé mes valises à Paris, dans cette ville immense qui m’intimidait (tout est démesuré quand tu viens d’un endroit préservé comme La Réunion). Mais mes parents m’ont toujours poussée à sortir de ma zone de confort, malgré leur inquiétude. À Paris, j’ai travaillé sur des projets inspirants dans la santé, une période riche qui m’a fait grandir professionnellement et personnellement. J’ai développé une vision globale du secteur de la santé grâce à mes différentes expériences auprès d’acteurs du secteur médical. De la répartition pharmaceutique aux laboratoires fabricants leaders sur leur marché, j’ai collaboré avec de nombreux professionnels : pharmaciens, médecins, dentistes, gynécologues, sages-femmes, radiologues… Après plus de 10 ans dans ce domaine très spécifique, je suis revenue pour mettre mes compétences acquises au service de la Réunion… mon plus grand objectif quand je suis partie en 2012.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à rentrer à La Réunion ?
Après dix ans en Métropole, la vie m’a envoyé des signaux forts. Des épreuves personnelles, comme la violence conjugale, m’ont rappelé que le temps est précieux et la famille sacrée. Lors de vacances à La Réunion en décembre 2023, j’ai ressenti dans mes tripes que c’était le moment. Cela faisait des années que j’y pensais, mais mon métier très spécifique procurait peu d’opportunités sur l’île. Alors, j’ai décidé de créer ces opportunités moi-même : en quinze jours de vacances, j’ai enchaîné rencontres, entretiens, jusqu’à la veille de Noël, avec une idée fixe : revenir avant mes 30 ans (en septembre 2024). Dès février, j’ai décroché un emploi et créé mon entreprise avec ma sœur Florence. En mai, j’étais de retour !
Comment avez-vous préparé votre retour ?
Il y a un an, je faisais mon premier carton pour revenir à mes racines, prête à tout quitter : un CDI stable dans un domaine qui me passionne, des collègues incroyables… Emballer une décennie dans des cartons, gérer l’administratif, surmonter les émotions… on peut qualifier ça d’intense ! Ces trois mois ont été un tourbillon logistique et émotionnel. Mais au bout, il y avait le plus beau cadeau : retrouver mon île et fêter mes 30 ans entourée des miens. En parallèle, la série de podcasts Bat’karé : retour au péi venait de sortir, et elle m’a porté : leurs astuces et leurs histoires ont fait écho en moi, me rappelant que ce rêve, je le vivais, et qu’il était à ma portée. Je lisais les articles de Réunionnais du monde en me disant qu’un jour je pourrais peut-être partager mon histoire et montrer à d’autres que c’est possible !
Je tiens à dire que la plate-forme Réunionnais du monde a guidé mes années en métropole et surtout mon retour au péi en me prouvant que c’était possible ! Possible de faire ce qu’on aime sur son caillou après plusieurs années de sacrifices, les exemples sont nombreux. Je lis toujours avec autant de plaisir la newsletter mensuelle et les parcours incroyables des Réunionnais ! Merci pour l’espoir que vous donnez à travers ces témoignages. Je vous assure que ça réchauffe le coeur, surtout dans les passages à vide.
Décrivez-nous votre état d’esprit à l’atterrissage à Gillot.
À Gillot, c’était un mélange explosif : excitation, joie profonde, tristesse, incrédulité et… un soupçon de nostalgie. Ce retour, c’était plus qu’un voyage, c’était l’accomplissement d’un vœu fait en 2012, quand j’avais dit au revoir à mes parents, les larmes aux yeux, en leur jurant de revenir un jour pour les rendre fiers. Ce jour-là, atterrir, c’était toucher un rêve du bout des doigts.
Avez-vous eu des difficultés à vous réinstaller ?
J’avais la chance d’avoir un CDI qui m’attendait, donc côté professionnel, ça a été fluide. Le vrai défi, c’est de retrouver sa place dans une Réunion qui a changé. On rêve d’une île figée dans nos souvenirs, mais la réalité – le coût de la vie, le logement – te rattrape. J’avais idéalisé mon retour mais l’île a changé : des constructions partout qui abîment le paysage, trop de voitures, une société de consommation envahissante, des inégalités sociales, une vie chère…. C’est justement ce qui me pousse à agir à mon échelle, même modestement, pour préserver ce qui fait notre île.
Dans quel état avez-vous trouvé le marché du travail en rentrant ?
On peut croire que la Réunion attend le retour de ses « enfants prodigues », mais la vérité c’est qu’il faut se battre pour sa place. Certains recruteurs sous-estiment nos compétences, pensant qu’on accepterait n’importe quoi pour rentrer. Moi, j’ai choisi de rester moi-même, de suivre mon instinct, de créer mes propres opportunités. J’ai choisi de miser sur le fait que le marché est vivant, plein de possibles… et qu’il appartient à ceux qui osent le façonner.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’ai une activité mixte : salariée en tant que responsable marketing et communication dans le domaine de la santé, et entrepreneur avec ma sœur graphiste, elle aussi rentrée à La Réunion ! Préserver notre culture est essentiel. Avec ma sœur, on a lancé notre activité pour valoriser nos racines et soutenir des projets qui portent l’âme réunionnaise. Aujourd’hui j’essaie donc à ma façon de contribuer et construire là ou d’autres voient des obstacles.
Quels sont vos projets ?
Au-delà des aspects personnels (écrire un nouveau chapitre ici, avec les miens), je souhaite m’épanouir dans mon poste tout en faisant décoller, avec ma sœur, des initiatives qui célèbrent La Réunion. Même si nous en sommes au début, ensemble on veut semer des graines d’espoir, accompagner des projets qui ont du sens et faire rayonner notre île : toujours avec cette envie d’aider. On met le marketing, la communication et le design au service d’entrepreneurs, d’associations et d’idées qui ont un impact positif sur notre île, de projets qui ont du sens, de l’authenticité et l’envie de faire avancer La Réunion. Ensemble, on rêve de valoriser notre culture et de soutenir ceux qui osent.
Quels sont les points de satisfaction et de déception de votre retour ?
Satisfaction : Le soleil, évidemment, et la proximité avec ma famille ! Avoir tout le monde à moins de 40 km, pouvoir partager les hauts et les bas sans un océan entre nous, c’est une richesse qui n’a pas de prix. La déception, c’est de réaliser que l’île a perdu un peu de son âme avec cette modernité. Mais ça me motive à agir. Je ne serais pas arrivée là si je n’avais pas trouvé la force de me dire que personne ne gravirait la pente à ma place. La vie, c’est comme le Piton des Neiges : parfois le chemin est raide, les nuages bouchent la vue, mais avec du cœur et de la ténacité, on atteint le sommet. Et là-haut, la vue sur notre île te rappelle pourquoi tu n’as jamais lâché.
Avec le recul, tirez-vous un bilan positif de votre expérience de mobilité ?
Un immense oui ! Partir à 17 ans m’a appris à voler de mes propres ailes : gérer un appart, un budget, des études… Ça m’a forcé à mûrir vite, à trouver en moi les ressources nécessaires. Les voyages ont élargi mon horizon, nourri ma tolérance et mon amour pour l’entraide. Chaque pas, même les plus durs, m’a façonné. Car la mobilité, c’est aussi surmonter des tempêtes, comme la violence conjugale que j’ai vécue. Cette épreuve m’a donné une force nouvelle, celle de rebondir, et une mission : agir un jour pour celles et ceux qui traversent ça. Elle a renforcé une certitude ancrée dans mes racines réunionnaises : la famille, c’est notre refuge, notre pilier.
Quels conseils donneriez-vous aux Réunionnais qui comme vous souhaiteraient rentrer sur l’île ?
Croyez en vous et en vos rêves ! Il y a ici des gens motivés avec de belles idées ; ensemble, on peut faire bouger les choses. Mais il faut dépasser les doutes : entourez-vous, osez, et ne laissez pas la peur vous freiner. Si vous y croyez vraiment, le reste suivra, même si ça prend du temps.
Interview Nicolas Martin
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